Bernard de PASQUALE : Alger, 8 novembre1942 au petit matin
Bernard de PASQUALE : la guerre, la peur, la mort… Alger, 8 novembre1942 au petit matin...
PAUL HANNAUX (1899-1954) ALGER, DÉBARQUEMENT AMÉRICAIN
Cela se passe le 8 Novembre 1942, au petit matin. Je ne peux pas me tromper sur la date, car les évènements de la nuit précédente sont gravés dans ma mémoire.
Dans la nuit du 7 au 8 Novembre 1942, Alger est réveillée par un tonnerre de détonations. Par moment, des explosions sourdes font trembler les murs de l’appartement où nous habitons alors, au 10 de la Rue Duc de Cars, sur les hauts de la ville.
Je me lève terrorisé, pour me réfugier dans la chambre de mes parents, qui sont déjà debout pour essayer, du balcon, de comprendre ce qui se passe. Dans l’immeuble, d’autres personnes sont également sur leur balcon, certaines en pyjama, d’autres enveloppées dans une couverture. Mes parents échangent quelques mots avec leurs voisins. Tout le monde est inquiet.
Jusqu’ici Alger avait été épargnée par le vacarme de la guerre et des bombardements. D’où notre surprise.
Mon père se précipite sur le vieux poste radio, pour tenter de comprendre la situation. Il revient très vite sur le balcon et annonce aux voisins: c’est le débarquement des Américains. Des avions sillonnent le ciel poursuivis par les explosions des tirs de DCA.
Mon père me dit: « vas t’habiller, vite… »!!!. Le jour se lève et nous remontons la Rue Duc des Cars, jusqu’à une petite place d’où partent des escaliers qui descendent jusqu’à la Rue Michelet, à la Hauteur des « Facultés ». De cette place, à travers cette trouée, nous avons une vue panoramique de la Baie d’Alger, et le spectacle qui s’offre à nous est hallucinant.
La baie d’Alger est noire de navires de guerre, au dessus desquels flottent en l’air, des espèces de ballons dirigeables que plus tard nous nommerons « des saucisses », destinées à les protéger des attaques aériennes. Partout crépitent les tirs de mitrailleuses et les explosions.
J’ai neuf ans, et j’ai très peur. La Guerre, je ne sais pas encore ce que c’est. En 1942, il n’y a pas de télévision dans les foyers, et je ne suis encore jamais allé au cinéma: mon premier film sera pour plus tard, quand j’aurai douze ans: ce sera « Le Dictateur » de Chaplin. Je ne peux donc pas me représenter ce qu’est « la guerre ».
Le ciel est constellé de petit nuages noirs qui très vite se dissolvent. Ce sont les obus de la défense aérienne tirés depuis le « Fort l’Empereur ». Une odeur acre se répand. Mon père me prend par la main pour me conduire chez sa mère qui habite près de chez nous: dans son immeuble il y a une cave où nous serons à l’abri.
Pendant que nous redescendons la Rue Duc des Cars, deux voitures chargées de militaires remontent la rue à toute allure. Des voitures comme je n’en avais jamais vu. Ce sont des Jeeps de l’Armée américaine. Leurs occupants nous saluent du geste en faisant un V, l’air triomphant.
Nous arrivons chez ma grand mère qui, emmitoufflée dans un grand châle de laine, s’est réfugiée dans le couloir de son minuscule appartement. Mon père me « dépose » là, et repart rejoindre ma mère.
Avec ma grand-mère,que j’appelle Mémé, nous descendons dans la cave éclairée par deux bougies. Quelques instants plus tard, des voisins de ma grand-mère, puis mes parents nous rejoindront.
En attendant, je tremble comme une feuille. Je découvre à neuf ans ce que des millions de petits Français ont vécu avant moi: le vacarme de la guerre, les bombardements, la peur …. Ma grand-mère m’a pris sous sa protection, dans ses bras, et je partage la chaleur de son grand châle de laine, qui nous abrite contre l’humidité de cette cave souterraine.
Je ne sais pas encore que chaque soir pendant des mois, nous nous retrouverons, dans cette cave, car maintenant que les Alliés ont pris pied en Algérie, Alger sera bombardée toutes les nuits par les Junkers allemands ou les avions italiens. Un peu plus tard, mon père nous évacuera, « dans le bled », c’est à dire à l’intérieur du pays qui échappe aux raids aériens……
Commentaires (1)
- 1. | 05/01/2018
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Date de dernière mise à jour : 10/03/2016
Tout à fait par hasard, en recherchant le nom de l'ancienne rue où j'habitais à Alger entre 1942 et 1945, (2 rue Duc des Cars) je trouve la relation de l'évènement que vous avez vécu, comme je l'ai vécu moi-même à la même époque ; j'avais 7 ans.
Un ami de ma mère avait un atelier de photographies à cette adresse et nous avons essayé cette nuit-là de comprendre et d'entrevoir derrière la rideau métallique entrouvert, stupéfaits, ce qui se passait.
Je suis heureuse d'avoir découvert ce document, car j'ai perdu ma mère en 1952 et plus personne ne peut me parler de cette époque.
Merci de ce document, je vais essayer d'approfondir mes recherches.
Bien cordialement.
M. Leandri