LANGUES

Le "pataouete, c'est ce parler des Français d'Algérie, à l'époque où celle-ci était française, comportant beaucoup d'emprunts à l'arabe, à l'espagnol et à l'italien. Un Arabe habillé en européen, c'est vrai qu'il fait très pied-noir. Un peu plus indigène, peut-être? Quand il parle, d'accord! Dans son parler, y a un peu d'espagnol, un peu d'italien, davantage de français mais une trop nette prédominance d'arabe pour faire vraiment pataouète. Le reste, pareil, faut reconnaître (R. Bacri, Le Beau temps perdu, Paris, Lanzmann/Seghers, 1978, p.30).

LA LANGUE DE CHEZ NOUS AUTRES

de Hubert Zakine

C'est le dictionaire des expressions pataouètes

La langue chez nous autres
 

Le pataouète et judéo-arabe qu’on parlait à Alger.

 

Extrait :
D
DACHE
Un personnage sorti de la littérature pied noir que chacun il a repris à son compte. Autre Azrine.
Un autre lieu où on envoyait se faire voir! Au lieu d'envoyer promener en lâchant un "va chez Dache" définitif, cuila qui voulait faire du genre y disait : où le bon dieu il a perdu ses chaussures" !
DE
Avec ce dé je vais en découdre avec vous! Impossible de coudre avec ce dé-là qu'il a rien à voir avec le tchic tchic. Ce dé-là, on le mettait à toutes les sauces pataouètes et s'il existait pas, y faudrait l'inventer tellement il est essentiel dans notre façon de parler. "La putain dé! " c'est plus efficace que "la putain!"
--Oh, dé! tch'as fini de draguer ma soeur?
--Putain dé! Où tch'as vu que je la drague!
DEBDEBBAH
Y faut que ma plume elle aille plus vite que ma pensée pour vous donner fissa l'expliquement. Debdebbah, c'est un mot arabe qui veut dire qu'on est tellement pressé d'aller vite que même pas on arrive à aller lentement. Comme un bègue qui s'emmêle les crayons comme Albert Camus, comme Picasso qui s'emmêle les pinceaux et un footballeur qui s'emmêle dans ses dribbles. Madame Sanchez, elle, elle se mêle de tout!
DESSUR
Union libre entre l’adverbe « dessus » et la préposition « sur » que le pataouète il a marié comme s’il était une agence matrimoniale.
« Paulo, mets ton pardessus par dessur le pull, tu vas attraper la crève!"
DJAMENEK
La version pataouète de ce mot arabe ça pourrait être comment tch’étais, comment tc’hes devenu !
DJARB
Oncle Picsou il est djarb au possible. Radin pour deux sous et même pour trois sous ! C'est normal y s'appelle Picsou.
DERMAH:
C’est quand y fait sombre que rien on voit.
C’est dermah chez toi ! Ouvre un peu la lumière va. C’est ramah !
DIS-LUI
Quand deux copains fâchés y veulent se parler sans perdre la face, y se servent d’un copain pour relayer le message
--Dis-lui que demain on tape un match contre les bras cassés de la rampe Valée
DJENONE
Prononcez djnone : Le diable en personne !Qui rouspète sans arrêt, qui crie, qui hurle !
"Spéce de djnone tu vas t’arrêter de crier, ouais ! "
DOBZER
Battre en pataouète ! Donner une tannée, une tléra que toute sa vie çuila qui la reçoit, y s’en souvient

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Le pataouète tel qu'on le parle du côté de Bab-el-Oued:
ni Voltaire ni Rousseau

par Roland Bacri
Extrait d'un "Historia Magazine" de janvier 1973

-Si on parlait pas bien le français naturel à Bab-el-Oued, à la Cautère, c'était pas la faute à Voltaire, au quartier du Ruisseau, c'était pas la faute à Rousseau. Le vrai responsabe, c'est Cagayous, que de son vrai nom y s'appelait Musette, que c'est lui le premier qu'il a eu l'idée, en 1900 et quelques, d'écrire le pataouète parlé, ça qui fait qu'officiellement, mektoub, c'était écrit dans l'histoire de la littérature française.
En Algérie, nous autes, on était tous bilingues.
-Le français naturel de quand Malherbe y vint, on se l'apprenait à l'école pour passer les examens, et le pataouète, y nous était venu tout seul, comme ça, en tapant un bain en bas la mer, en buvant l'anisette, en tombant la veste pour taper la sieste, en jouant à la morra parlante (Tchinquouanta! Oto! Pigeon marqua!), la purée, vous pouvez pas sa'oir ça que c'était, la mort de leurs z'osses !
Bref, le pataouète, c'est notre langue natale, avec des lettres de noblesse et tout!
Sans compter la syntaxe locale, les vocables télégraphiques, tout c'qui fait un langage articulé et intelligent et compréhensibe avec les règles qu' y faut
-Le pataouète, c'est comme une déclaration d'amour où des langues elles se mélangent. Une sorte de propos-pourri d'espagnol d'italien, d'arabe et de français naturel; mais je l'explique très bien dans le Roro, un dictionnaire comme le Littré, de pataouète, de langue pied-noir, étymologique, analogique, didactique, sémantique et tout, qu'il a paru chez Denoél, éditeur.
-Je dis pas ça rien que pour la publicité que ça me fait pas franchement, si je vous le dis pas, d'abord qui c'est qui vous dirait et ensuite, c'est le seul dictionnaire, c'est de ma faute? Où j'en étais, purée ?
-Ah! ouais, donc c'est bien ça, dans le Roro, j'en parlais avec Emmanuel Roblès et Edmond Brua, qu'y sont des écrivains et des lingouistes terribes, le pataouète, non seulement c'est ce que je vous disais, mais encore y va chercher ses racines dans le gallois, le bas breton et même, ma parole si je mens, dans le Carthaginois de Plaute, vous vous rendez compte? Mais laissons là la file au logis qu'elle est quand même trop longue pour le cadre restreint de cette modeste étude.

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-Donc le pataouète, c'est pas une manière de parler, l'idiome du village ou un patois comme y dit l'aute que si c'est patois c'est donc ton frère ou va sa'oir!
-Le pataouète, c'est une langue tellement vivante que vous avez pas besoin de la tourner sept fois dans votre bouche pour bien vous faire comprendre.
---------------Un exemple : à un gosse qui joue, qu'est-ce vous lui dites, vous? " Gérald, attention ! tu vas salir ta belle culotte ! " Nous autes, non. Belle culotte ou pas, à Bab-el-Oued, on nous disait toujours " Allez, c'est ça, pourris-toi bien ! " Le langage, nous, on le prenait au mot et nos expressions, veuillez agréer qu'y leur manquait ni la parole ni le geste! Bras d'honneur. Qué bouffa qu'y se tient, çuilà ! Va fangoule ! Tâche moyen de pas trop te fatiguer surtout ! Ré'ar-moi-le, il est bizoutche ! Crache-moi dessur si c'est pas vrai! Ha l'ami, ti'as vu ça? Tu peux pas crier un peu doucement, non? N'en casse pas une ! Le cul y me tombe si j'exagère que purée! et j'en passe, hein, marque dommage que d'abord y en a trop et en pluss, qu'y faudrait vous expliquer, ce qui ferait deux fatigues supplémentaires.

Tout ce paragraphe, y faut que j 'vous dise, il est extrait tel que de Et alors? Et oilà!, un autre livre de moi, l'histoire de l'Algérie à travers la famille Bacri paru chez André Balland, éditeur.
-Je sais, encore mon oeuvre! Mais qu'est-ce vous voulez (voir plus haut), je vais vous réécrire d'une auto façon des choses que je me suis tellement cassé à bien vous écrire déjà? http://alger-roi.fr. C'est vrai quoi! on va pas m'engueuler maintenant si les seuls ouvrages de base lexicographiques pataouètes y sont de mon cru !
-Pour en revenir, si vous voulez parler pataouète, c'est très simple : vous ouvrez les o et les é, mais bien!
-Vous parlez à mots qu'ouverts, mais franchement!
--Par exemple, vous disez pas : " Le lait, il est frais, c'est vrai ", vous dites, plus orthodoxe : "A de vré, le lé il est fré. "
-La lettre v, vous la prononcez rarement. Pour le v, y faut un effort, hein? Alors oilà, ça sert à rien, vous le faites pas, vous êtes pas contents ?
-Pour le reste de la construction de phrases, le reste est littérature comme dans Verlaine, à part que chez nous autes, la musique des mots, avant toute chose, elle a les sanglots longs de la danse du ventre.
-Moins poétiquement parlant et pluss analyse logique de notre proposition, les phrases pataouètes, elles doivent avoir comme sujets que des sujets de conversation et comme verbe, que le verbe haut.
-Comme articles, que des articles de luxe.
--Sans parler des compliments directs d'objet et des insultes. Ah! surtout, évitez d'être snobs quand vous avez la tchatche! La tchatche, c'est quand qui c'est qu'y vous arrête de parler, que si dans votre tirade, par exemple, vous dites des choses comme : " Eh ouais! Bien faire et laisser dire! ", ma parole, vous perdez la figure, tout de suite on verrait que vous vous appelez beaucoup pluss Gontran de Montesquiou, Dupont de Tancarville que Papalardo ou Sauveur Chicheportiche! Non, disez plutôt : " Ça m'en a touché une sans remuer l'aute! " C'est beaucoup plus simple et beaucoup plus viril.
-Et comme on en est à vous donner l'exemple, eh ben en oilà de très typiques du Roro.

AOUAH! Juron dubitatif pour quand on se récrie, stupéfait.
 Ma parole! il est pas méchant pour deux sous!
 Aouah ! Pour deux sous peut-ête, mais pour pluss?
BRECHT, l'Opéra de quat'sous.

BALLON. C'est quand la femme elle a bien fait oeuvre de chair, alors bien sûr elle est enceinte. Enceinte réservée, enceinte fortifiée, enceinte vierge, même (c'est arrivé, tout dépend du tempérament).
 Tu sais, mon chéri, je crois que je me tiens le ballon...
 Mon Dieu, Marie, comment ti'as fait?
-Le Mystère de la Passion.

BÉZEF C'est beaucoup, on leur a pris aux Arabes.
Des autoroutes, on en a peut-ête pas bézef en France, mais le premier réseau des routes secondaires du monde, qui c'est qui l'a hein?
FRANÇOISE SAGAN, Dans un mois, dans un an.

CAPABE. Ça vient de capable en français, mais y s'emploie dans le sens plus fort de quelqu'un, y faut reconnaître, on doit s'incliner.
On lui disait : " Fais un sol ", y disait : " Quel sol fais-je? " On lui disait : " Joue de la harpe ! ", y disait : " Quelle harpe ai-je? " A son âge, c'était déjà un grand capabe !
BERNARD GAVOTY, le Divin Mozart.

FIGA DE TA OUÈLA! La figa, c'est un fruit, la figue, qu'y en a des fraîches et des sèches, et la ouela, c'est une femme vieille, une grand-mère. http://alger-roi.fr.C'est pour ça qu'en insulte la figa, c'est l'organe viril de la femme.
Avec une figure comme ti'as, va, va réclamer des dommages et enterrés à la figa de ta ouèla !
FRANÇOIS MAURIAC, Thérèse Desqueyroux.

HAMMAM. Bain maure qu'on prend à toute vapeur mais sans qu'on soit pressé. Le sauna, c'est pas l'hammam chose.
Tout corps qu'il est plongé dans le hammam reçoit de bas en haut une poussée qu'elle est égale au poids de toute la crasse déplacée.
ARCHIMÈDE, Principe d'hygiène.

MÉCHOUI. D'abord, c'est la broche des événements et après, c'est cuit, laisse épicer le mouton !
J'méchoui tojor fi la certaine idie d'la France.
Muhammad BOUMEDIENE

OUED. Petit ruisseau qu'y fait pas la grande rivière à cause la sécheresse qu'y a en Algérie.
-A l'oued, je te plumerai !
-Proverbe kabyle.

-PURÉE! Exclamation pour quand on constate que c'est malheureux quand même ça qu'on est sur cette terre.
Purée ! ça me revient maintenant...
-SARTRE, la Nausée.

TCHEKLALA. Vous en faites si vous voulez vous donner beaucoup de l'importance, que pourtant mieux c'est d'être simple.
Le tcheklala qu'y fait çuilà; total, qui c'est qu'y le voit?
-H. G. WELLS, Homme invisible.

YOU YOU Cri qu'elles poussent les Mauresques quand c'est la fête chez elles.
 How do you you do?
-TRISTAN BERNARD,l'Anglais tel qu'on le parle à la Casbah

ZBOUBA. Synonyme de bernique! et encore pluss de peau d'zébie, car ça vient de zeb qu'en arabe c'est zbob.
-Scouza qu'elle avait la migraine terrible; moi, zbouba toute la nuit !

-HERVÉ BAZIN, Qui j'ose aimer.

-Bien avant le Roro, bien après Cagayous, bien sûr, des auteurs qu'y z'ont écrit en pataouète y en a eu des tapées' Paul Achard, qu'il a écrit Salaouètches, Lecoq, qu'il a écrit Pascualète l'Algérien, Lucienne Favre, qu'elle a écrit Bab-el-Oued, Ferdinand Duchêne, qu'il a écrit Mouna, Cachir et Couscous...

Des grands écrivains comme Emmanuel Roblès, Montherlant Albert Camus y font fait leur oeuvre en français naturel, mais y se sont fait honneur et gloire de mettre du pataouète dans la bonne bouche de leurs personnages.
Mais bien à part de tous, pourquoi c'est le plus grand, chapeau! c'est, et de loin, Edmond Brua, que sa Parodie du " Cid " non seulement y a pas un seul boudjadi de la montagne en Algérie qu'y la connaît pas, mais encore à Paris, à Bobino, y l'ont jouée !
C'est bien simple, quand j'étais petit à l'école, on connaissait tellement par coeur la Parodie du " Cid " que quand le maître, M. Bénaïm, il a commencé à nous parler du Cid de Corneille, fallait oir comme on était tous écoeurés de oir l'importance qu'on lui donnait dans la littérature à ce Corneille que, total, qu'est-ce qu 'il avait fait à part de traduire sérieusement Edmond Brua ?
Tenez, regardez par exemple cette scène où Don Diègue - pardon! Dodièze - y tape son monologue, la joue encore toute rouge du coup de soufflet qu'il a reçu

DODIÈZE, l'espadrille à la main
Qué rabbia ! Gué malheur! Pourquoi c'est qu'on vient vieux?
Mieux qu'on m'aurait levé d'un coup la vue des yeux !
Travailler quarante ans négociant des brochettes .
Que chez moi l'amateur toujours y s'les achète,
Pour oir un falampo qu'y me frappe en-dessur
A'c mon soufflet tout neuf qu'il est mort, ça c'est sûr!
Ce bras qu'il a tant fait le salut militaire,
Ce bras qu'il a levé des sacs de poms de terre,
Ce bras qu'il a gagné des tas de baroufas,
Ce bras, ce bras d'honneur, oilà qu'y fait chouffa I
Moi, me manger des coups? Alors ça c'est terribe !
Çuilà qui me connaît y dit : " C'est pas possibe !
Gongormatz à Dodièze il y'a mis un taquet?
Allez, va, va de là ! Ti'as lu ça dans Mickey? "
Eh ben ouais, Gongormatz il a drobzé Dodièze;
II y'a lévé l'HONNEUR que c'est pir' que le pèze.
Aouqu'il est le temps de quand j'étais costaud?
0 Fernand. je te rends ça qu'tu m'as fait cadeau !
(Il arrache sa décoration.)
Je suis décommandeur du Nitram Ifrikate.
(Il essaie de se rechausser.)
Et toi que ti'as rien fait, calamar de savate,
Au pluss je t'arrégare, au pluss je ois pas bien
Si ma main c'est mon pied ou mon pied c'est ma main...

-En marge de ce pataouète des Français à part en tiers, les Arabes, eux aussi y s'étaient amalgamé le français naturel à leur façon.
-Ça avait donné un sabir pittoresque qu'un auteur comique, Kaddour, (note du site : voir mes pages
Sabir) y s'en était fait des monologues très drôles, en oilà un qu'il est imité d'une fable de la Fontaine, si vous reconnaissez pas, alors qu'est-ce vous avez appris à l'école ?

LA CIGALE Y LA FORMI

J'y conni one cigale qui tojor y rigole
Y chante, y fir la noce, y rir comme one folle
Y s'amuse comme y faut
Tot l'temps qu'y fi chaud (Suite sur le site en
cliquant ici)

-Qu'est-ce j'pourrais vous dire encore sur le phénomène lingouistique en Algérie ?
Le sabir, bien sûr, c'est rien qu'un sabir, ça a pas pris, vous comprenez? C'est pas comme le pataouète, qu'Albert Camus y disait à Roblès : " Le pataouète est une langue qui devrait servir à écrire une tragédie. "
La tragédie, purée! on vous en parle dans tous ces "Historia Magazine " c'est que depuis les événements, allez sa'oir si dans une génération, le pataouète, paf, ça sera pas foutu!
Et pourtant, c'est beaucoup pluss qu'un patois auvergnat ou du Haut-Gard, c'est vrai!
Que ça serait péché de le laisser perdre comme ça pasqu'on est soi-disant intégrés!
Mais je crois pas, franchement; l'Algérie de papa elle est morte, d'accord, mais le pataouète, c'est une vraie langue vivante, grâce à Dieu!
Allez, tchao! et que le bon Dieu y vous l'allonge!

Roland BACRI

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Fiches de lecture du livre numérique : LE PATAOUETE, DICTIONNAIRE DE LA LANGUE POPULAIRE D'ALGERIE ET D'AFRIQUE DU NORD   http://www.lettropolis.fr/Public/Olnitheque/Fiche.php?ID_Article=77

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LE  PATAOUETE

Le vocable, à l’origine, désigne moins le langage que son locuteur. Pour l’Algérien du début du 20ème siècle, le pataouète est un personnage mal dégrossi, usant d’un français chaotique et vulgaire, dont il est convenu de se moquer entre gens de bonne compagnie. Le glissement sémantique inverse a habillé la langue en question du nom de Cagayous, héros babelouédien d’Auguste Robinet, dit Musette. Ainsi les pionniers du cru parlèrent-ils sans le savoir le cagayous avant le pataouète, puisque cette dernière application appliquée à la langue n’apparaît que vers la fin des années 30.

Le dictionnaire « Le Pataouète », aux éditions Gandini, renvoie à une explication étymologique par la racine catalane patuet (patois). L’hypothèse, phonétiquement séduisante, répond par ailleurs à notre première question, si l’on considère qu’un patois peut être une « langue mixte » (Le Robert), et que, à ce titre, les premières générations de la colonisation y ont apporté ou trouvé, ainsi qu’en une auberge espagnole, des éléments disparates de communication élémentaire.

Sur l’étymologie proposée il semble qu’Edmond Brua ait été d’un avis différent, si l’on en juge par l’extrait suivant d’un texte sur « l’idiome algérien » datant de 1974 :

Il est peu vraisemblable que cette racine (patuet) air servi à la création d’un terme de Bab-el-Oued. Elle est trop « savante ». À mon sens l’origine du mot doit être cherchée dans « Le Papa Louette », titre d’un journal satirique créé et rédigé par Henri Fiori, futur député d’Alger (et dit « Fiori l’Anisette » parce qu’il avait fait campagne, comme homme politique, pour le rétablissement de la liberté de vente de cette boisson alcoolisée). Papalouette se serait ainsi déformé en pataouette ou pataouète, sous l’influence du préfixe pata, qui a un sens caricatural (patache, pataquè,….).

Sur le langage proprement dit, il n’est pas dans notre propos de jouer au savant de la fable bônoise, si riche que soit la matière phonétique et linguistique pour un observateur extérieur (C’est merveille, dit-il de les ouïr parler ?).

On se bornera au rappel du constat de trois caractéristiques utiles à la « dégustation » du pataouète de vieux fût débondé pour ce travail.

L’ACCENT : il est le produit, inégalement synthétique, de sonorités méditerranéennes dominées par la gutturalité arabe. Par un étrange retour des choses, le français de bonne tenue parlé en Algérie d’aujourd’hui reste imprégné de la prononciation Pieds Noirs des années 1950-1960.

LE VOCABULAIRE : fut, jusqu’à sa « fermeture » de 1962, le carrefour des mots et expressions de l’immigration, brassés avec une si forte proportion de langue locale que près d’un tiers d’entre elles sont, soit marqués par une racine arabe, soit totalement empruntés, tel : aouah ! (pas possible),  bessif (par force),flouss (argent), fartas (chauve), rabia (colère)….. Pour les dérivés on citera : laouère (de auer : mal-voyant) ; louette (de louhat : malin).., mais il y en a beaucoup d’autre, notamment dans le registre de l’injure obscène.

LA SYNTAXE : Il a une certaine provocation à nommer syntaxe l’organisation du discours pataouète, dans la mesure où celui-ci fonctionne à contre-sens de l’ordre établi. Il ne faut pas moins lui reconnaître une logique de distorsion, dont Edmond Brua, dans ses notations dur « l’idiome algérien » a relevé quelques singularités : l’inversion de l’attribut (fou je viens, malade il est), la forme du conditionnel (si j’aurais su, si je serais toi), le pléonasme sujet-pronom (ma mère elle m’a crié).

Dans le même élan, le pataouète s’affranchit sans complexe, ni remords, des contraintes de l’intimidant subjonctif (je veux qu’elle vient demain), de l’accord du participe (qué des histoires qu’i z’ont pas fait), de la diction (liaison, h aspirés….)

Accord du participe, diction, avez-vous dit ? Mais alors, le pataouète n’est pas mort et enterré avec l’Algérie française ? Pléonasme et redondances compris, ce sont bien ses formules les moins respectueuses du « bon français » qui émaillent chaque jour les journaux télévisés (les jeu’ olympique, l’esteu de la France, aujOrd’hui….) mais sans la distance, ni la fantaisie, d’un langage « parallèle » qui savait se moquer de ses propres travers. Le pataouète, comme toutes les marques déposées, souffre mal les imitations. Sans l’excuse de la dérision, ni l’alibi d’un accent qui annonce la couleur, la faute fait tache. Il n’est de bon pataouète que celui qui se parle ou s’écrit en tant que tel, naturellement ou par jeu, entre gens « qui connaissent la musique ».

Bréviaire caravanier

Comme on dit à chez nous qu’on connaît la misique :

« Laiss’ les chiens qu’i z’aboyent et les p’tites mouch’s qu’elles piquent,

Quâmêm’ la caravane elle arriv’ra à l’heure ! »

Patience et bonne année ! Si t’i’as peur, n’as pas peur !

La vérité, ou’allah, c’est comm’ le dromadaire :

Au plussell’ roul’ sa bosse, au moins elle en a l’air.

Baiss’ le chèch’ quand ça souffl’ un peu fort les tchaleffes

Et tap’ le bras d’honneur aux sercheurs de zouzgueffs !

D’après « Quérabia ! »

Ou « L’humour de Dodièze » par Jean Brua

Marie-Annick GIBERGUES

Extrait du Mémoire Vive n°72 du CDHA

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La parole perdue par André Trives

Les enfants d'Algérie d'avant 1962 se souviennent du trésor perdu à jamais que fut le véhicule de la mémoire de nos anciens. Auguste Robinet dit « Musette », avec l’inénarrable histoire des amours de Cagayous, Edmond Brua dans la célèbre parodie du Cid, plus tard « La Famille Hernandez » de Genevieve Baïlac, et plus récemment le truculent Roland Bacri, sans oublier nos célèbres artistes de Bab el Oued, Robert Castel et Lucette Sahuquet, ont donné leurs lettres de noblesse à cette richesse aujourd’hui oubliée.

Mais de quel trésor s’agit-il ? De châteaux ou de palais ? D’ors ou de pierres précieuses ? Non ! encore bien plus que les fortunes boursières du CAC 40 ; il s’agit du parler et de l’accent du peuple d'Algérie, un patrimoine commun qui s’héritait sans droit de succession, avec l’avantage bien appréciable de nous faire appartenir à une même et belle famille. Cette langue et cet accent singulier, façonnés dans les forges de la rue, étaient précurseurs de la technique du caméscope et l’ancêtre de la vidéo. La singularité de cette communication donnait le son et l’image vivante de la pensée, en même temps. En somme, une expression en trois dimensions que nos maîtres nous gratifiaient dès l’école dans les cours de math, où le verbe et les mains nous expliquaient l’abscisse et l’ordonnée ou le théorème de Pythagore. Pour se faire comprendre, il fallait convaincre, et la meilleure des manières était l’usage de la métaphore la plus percutante, accompagné de la gestuelle d’un chef d’orchestre symphonique. Les gosses dissipés s’initiaient déjà au contact de leurs parents en colère : « Je vais t’en donner une, que le mur y va t’en donner une autre ». Notre parler était fortement imprégné du « pataouète » et du « sabir » ; il utilisait des mots et des expressions uniques, mais compris par tout le monde, un peu comme une langue universelle. Les langues régionales ou patois ne se comprennent que des initiés (le breton, le basque, le corse ou le provençal sont des exemples).

Notre langue était une sorte de tramway de la pensée, comme nos anciens trams et autobus circulant dans Alger, Oran ou Constantine bourrés de français, d’arabes, d’italiens, d’espagnols, juifs, musulmans, chrétiens ou athées. Un mélange extraordinaire de cultures, empruntant des néologismes, des tournures, des constructions de phrases typiques, des insultes au langage imagé avec geste approprié à l’appui dont le plus répandu était « le bras d’honneur », ou l’agitation répétée du « majeur » qui disait à un adversaire : « j’t’ai bien eu ». Des vocables aux épices piquantes et colorées, des syntaxes toutes méditerranéennes, avec l’odeur des produits de la nature que le soleil nous donnait avec générosité. Pour déclarer une surcharge de travail et bien la faire comprendre, on déclinait, le regard abattu : « j’ai la tête comme une pastèque ».

Notre parler se percevait comme une langue filmée en technicolor, jamais en noir et blanc. Elle permettait de monter un spot visuel, traduisant au mieux l’idée que l’on voulait développer. Tous les sujets de conversation étaient abordés avec le souci de remporter la palme au festival de Cannes ; alors vous imaginez les plans, les coupes, les raccords, les montages dans l’improvisation pour convaincre un interlocuteur qui, de surcroît, manifestait de la mauvaise foi. Dans ces tournois de la parole, les plus volubiles finissaient par imposer leur point de vue. Les idées exprimées, comme les sujets abordés, s’attachaient à refaire le monde. Une vie simple, entretenue par des gens simples, sans prétention, dont Marie Elbe disait : « Chez nous, on prenait l’amour au tragique et la mort à la rigolade ».

 

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Date de dernière mise à jour : 15/06/2022