Blida et des poussières...
Par Line Meller-Saïd Éditions Romillat. Décembre 2006. 208 pages
Il était une fois, des Juifs en Algérie. L’ ouvrage de Line Meller-Saïd s’ouvre sur une photographie surannée : une belle et grande famille juive réunie en novembre 1906 dans la cour de la synagogue de Blida. On célèbre alors la bar mitsva du père de l’auteur, Avellan Isaac Saïd. Tout est dit déjà à l’examen minutieux de cette photo. Les personnages, certains portant le turban ou le fez, d’autres, plus nombreux, le haut-de-forme ou le chapeau melon. Le chamach en grande pompe de chambellan avec bicorne et collier doré, le rabbin, en tenue occidentalisée qui lui donne un petit air de curé, les nœuds papillons, les moustaches. Et la ribambelle d’enfants posant fièrement autour d’un cadre aux caractères hébraïques. Tout cela, hélas, est aujourd’hui disparu, emporté par le vent impitoyable de l’Histoire qui a jeté le judaïsme algérien, millénaire, antérieur à la présence arabo-musulmane, sur les routes de l’exil.
Avellan, quel drôle de prénom pour un Juif ! La petite Line mettra longtemps à en comprendre l’origine.
En effet, le 13 octobre 1893, l’escadre du Tsar, conduite par le cuirassé Empereur-Nicolas 1er et le croiseur Pamiat-Azowa entre dans la rade de Toulon sous le commandement de l’amiral Avellan.
Il n’en faut pas plus pour enflammer les esprits. L’engouement des Toulonnais frise la folie. On crie : « Vive la Russie ! Vive le Tsar ! Vive l’Amiral ». Et, par ricochet, faisant assaut de patriotisme, les Juifs de Blida ne sont pas en reste. La communauté organise des collectes destinées aux marins de la flotte russe et le grand-père Saïd « tomba sous le charme de ce grand vent quasi messianique. Un mois plus tard, Avellan naissait ! »
Blida, donc, un îlot de paix sur les bords de l’Oued-El-Kebir. Le conteur algérien Sidi Ahmed Ben Youcef El Meliani explique : « On t’a nommée El Blida, La Petite ville, mais moi je t’appellerai Ourida, Petite rose ». Blida, placée sous la protection du Marabout Sidi Yacoub. Blida, avec aussi, ses Juifs, sa synagogue et son cimetière. Un cimetière, aujourd’hui délabré et abandonné aux chiens errants où, nous raconte l’auteure, un rituel était réservé aux personnes d’exception : le chef de prière, tout en récitant les psaumes d’usage, répandait par pincées autour de la sépulture encore ouverte, de la poussière d’or. Ainsi en fut-il de son grand-père. À travers l’histoire d’une famille juive de Blida, c’est toute la saga des Juifs d’Algérie qui nous est contée avec la célébration des fêtes, les grands moments de la vie, les compétitions sportives, les années de guerre, les joies et les peines et aussi, constante à travers les siècles, la peur. La peur parce qu’on est juif et que telle est la condition des Juifs dispersés depuis la destruction du Temple, en terre chrétienne comme en terre d’islam.
C’était une nuit de juillet où l’on préparait hâtivement la fête nationale, raconte Line Meller-Saïd. Soudain un cri : « À bas les Juifs », repris par la foule. Puis, encore : « Mort aux Juifs, mort aux Juifs, il faut tous les tuer ».
« En cette veille de 14 juillet, Jacob a fermé son bar plus tôt que d’habitude. Il sait combien la foule peut transformer les individus. Il a vu des hommes affables et policés, ou du moins qu’il croyait tels, perdre tout contrôle dans la marée humaine, hurler injures et menaces au diapason de leur entourage, prêts à passer à l’acte de violence et suscitant eux-mêmes, parfois, l’étincelle incendiaire. Oui, il en a vu de ces troupes déchaînées fracassant à coups de barres de fer la devanture de magasins juifs, brisant les vitrines et s’emparant de tout ce qu’ils trouvaient à l’intérieur de l’échoppe ! Et il en a vu de ces vieux Juifs poursuivis par des groupes braillards, jetés à terre, insultés et qui ne devaient souvent la vie qu’à un autre coreligionnaire repéré un peu plus loin comme nouveau gibier ! »
La mémoire juive raconte l’auteure, garde vivace le souvenir des humiliations infligées par les Turcs, des razzias systématiques ou « fiyouns », du statut infamant de la dhimma. « Les Juifs avaient pris l’habitude de toujours se tenir en éveil, quoique l’ensemble de la population musulmane de Blida, relativement pondérée, plus méprisante que haineuse, ait rarement adhéré totalement à la furie antijuive ». Une furie qu’on retrouvera, cinquante ans plus tard, avec des persécuteurs d’un autre acabit, Européens, cette fois.
Deux chapitres un peu particuliers sont consacrés l’un au sort des Juifs libyens à Benghazi, pendant la Seconde Guerre mondiale et l’autre à Roland Rhaïs, le fils de la mystérieuse conteuse si controversée, Élissa Rhaïs.
De très belles photos parsèment l’ouvrage. Très intéressant. Indispensable aux adeptes de la « nostalgérie ».
Jean-Pierre Allali
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Date de dernière mise à jour : 23/07/2019