Kar Chara
Kar Charah (Le quartier juif)
Source : Eliaou Gaston GUEDJ
A Constantine, les Juifs ont vu défiler depuis l'époque phénicienne toutes les invasions. Ils étaient alors dissémines dans la ville mais se retrouvaient sur la place Sidi-El-Kettani qui a été longtemps le cœur de la vie juive constantinoise. Au XVIIIe siècle, Salah-Bey décide de les expulser de la ville mais il tient à les garder toujours sous sa coupe. Les Juifs sont alors regroupés dans un espace déshérité, restreint et resserré qui vient buter contre le « Ravin » sur la rive gauche du Rhumel. Ce sera le « Kar Charah » (le cul de la lie) avec la fameuse rue Grand qui constitue alors l'épine dorsale de ce ghetto, de ce quartier juif. Lorsque la France s'installe à Constantine, le quartier s'ouvre jusqu'au contrefort du Ravin avec les constructions modernes de la rue Thiers se prolongeant jusqu'au boulevard de l'Abîme.
Tout au long de la colonisation, le quartier juif a su garder son cachet, son attrait et son identité. La population, en continuelle progression, semble vouloir se réchauffer en se serrant autour de ce foyer qui est devenu le sien. Il donne, de l'extérieur, une impression d'inconfort, d'étroitesse, d'insalubrité. Il semble imperméable à cette avancée de la civilisation matérialiste que la France semble dispenser à toutes les populations d'Algérie. C'est que le quartier est alors persuadé d'avoir une âme.
C'est pourquoi, jusqu'au jour de ce départ définitif de 1962, tout semble rester immuable ici. Dans le « Kar Chara », dans une rue perpendiculaire à la rue Grand, dans la rue Henri Namia, une petite synagogue, toujours ouverte à la discussion, a veillé sur la conscience de ce quartier.
En apparence la vie est la même dans le « Kar Chara » que dans la ville arabe. L'animation y est aussi fébrile, le commerce aussi actif et aussi âpre. Il y règne cependant une certaine convivialité : ici Juifs et Musulmans commercent, se rencontrent, s'invectivent amicalement, pour ne pas dire fraternellement. Si le commerce est actif, l'artisanat juif particulier à Constantine a lui aussi ses lettres de noblesse. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale les brodeurs ont gardé leurs échoppes ancestrales. Leurs doigts agiles faisant courir leurs fils d'or sur les brocarts des tentures de synagogue, ils accueillent tous ceux qui veulent célébrer l'un des leurs. Les Juifs de l'intérieur, eux, abandonnent bien souvent leurs bijoux frustes des campagnes pour venir à Constantine chez les bijoutiers spécialistes du filigrane.
Si l'animation est toujours grande dans le « Kar Chara », elle semble atteinte d'un vent de folie le jour de Pourim : on y fête le souvenir d'Esther et si la révolte gronde au moindre rappel du mot « Aman », tout sera joie et douceur au cours de cette journée. Ici, tout le monde jeûne la veille de Pourim. Petits et grands, jeunes et vieillards sont pris ce jour-là de la folie du jeu. Dans un désordre indescriptible, on retrouve dans cette rue Grand, petits, adultes ou vieillards prêts à en découdre pour un dé qui a mal roulé ou pour une carte maladroitement glissée ici ou là, mal à propos. On joue à tout et pour de l'argent. On se dispute aussi car on est toujours convaincu d'avoir perdu à la suite d'une tricherie. Ni le jeûne, ni les pertes d'argent n'entament la vivacité des participants.
II est un autre jour particulier à ce quartier. C'est la veille de Pessah. Lorsque tout le monde s'est appliqué à extirper du moindre recoin la miette de hametz (nourriture non casher) du quartier, le « Kar Chara » semble alors vouloir retrouver son âme.
La Brèche qui jouxte à l'ouest la ville indigène débouche sur la place des Chameaux. Elle sera dès lors le cœur de la ville nouvelle. Trois grands axes sont dessinés à partir de cette place. Le premier se dirige vers le bas du ravin, ce sera la rue Nationale, devenue plus tard la rue Georges Clemenceau qui finit au pont d'El Kantara. Une ligne directe est tracée vers le « Kar Chara », elle formera les rues Caraman et de France. Le troisième axe débouche sur l'abîme, ce sera le boulevard Joly de Brésillon.
Entre la Casbah, point culminant du rocher où l'armée a choisi de s'installer et le « Kar Chara », Ahmed-Bey s'était fait construire un splendide palais. Il avait aménagé une très belle place pour voir ses janissaires parader. Le palais deviendra rapidement le siège du commandement militaire de Constantine et la place va servir de point de repère aux urbanistes chargés de construire la ville nouvelle.
La Constantine moderne va s'articuler autour de ces axes principaux : des bâtiments s'inscrivent peu à peu de chaque côté de ces avenues nouvellement tracées. L'administration française s'installe. Les institutions habituelles de la vie administrative républicaine prennent place aux abords proches de la Brèche. Sur le boulevard Joly de Brésillon, une mairie (1903), construction monumentale à quelques dizaines de mètres du centre ville, s'apprête à accueillir la population dans ses bureaux fonctionnels et ses salles d'accueil. Un peu plus loin sur le même boulevard, et dans le même style, avec une allure un peu plus sévère, la préfecture (1886) occupe toute une rue voisine.
Une poste digne de l'importance qu'est appelée à prendre la ville est construite en 1908 sur le côté sud de la place de la Brèche. Un magnifique théâtre (1883) en occupe la face est, tout contre la place des Chameaux ou place de Nemours, du nom du fils du roi Louis-Philippe qui commandait une des brigades du corps expéditionnaire de 1837.
Les Européens arrivent peu à peu à Constantine, De magnifiques immeubles s'élèvent des deux côtés des rues Nationale, Caraman et de France. Les commerces à la française apparaissent et l'animation, l'aspect de cette nouvelle ville n'ont plus rien à envier aux villes de métropole. Dans cet espace compris entre la Casbah, la place du palais et la rue Caraman s'édifie une ville totalement européenne. La rue de France, qui limite le « Kar Chara », accueille peu à peu les Juifs qui se sentent trop à l'étroit dans leur quartier et celui-ci va finir par s'étendre du contrefort du ravin, devenu rue Thiers, jusqu'à la Casbah et finira par atteindre le côté nord-est de l'Abîme.
L'explosion démographique de la population indigène va rapidement l'amener à sortir des limites de la ville arabe. Un espace compris entre la rue Nationale et le « Kar Chara » est aussitôt envahi par une population pressée de prendre ses aises. Un nouveau quartier indigène prend forme dans cet espace. Il s'étend jusqu'au quartier juif et arrête sa progression à la limite du marché arabe qui constitue la place des Galettes. Si les nouvelles constructions sont restées fidèles à l'architecture locale, elles ont été toutefois ordonnées afin de les inscrire suivant un plan d'urbanisme qui aménage la vie du quartier et le rend plus accessible.
Dans le quartier juif, de l'autre côté de la rue de France, sur une place dont la légende dit qu'elle servait pour la vente des esclaves, cette place nommée « Négrier » devient un très beau marché, mi-arabe, mi-français où les Juifs se retrouvent pour faire leurs emplettes.
Très vite le Rocher se sent trop à l'étroit. Il ne peut contenir l'explosion de la ville. Les édiles songent alors à l'étendre par l'édification de faubourgs. Tout d'abord en direction du sud-ouest, un monticule, le Coudiat, est alors arasé et fait place à une vaste plate forme (
Source : Eliaou Gaston GUEDJ
Constantine - Allée des Squares. (Au fond, la halle aux grains, futur garage Citroën)
Commentaires (2)
- 1. | 13/04/2024
- 2. | 27/05/2023
Ajouter un commentaire
Date de dernière mise à jour : 29/10/2021