Mon arrestation par le colonel Zwilling le 8 novembre 1942
Mon arrestation par le colonel Zwilling le 8 novembre 1942 à Alger au Palais d’Hiver
par Paul Molkhou
Nous remercions Monsieur Paul Molkhou qui a rédigé ce témoignage à l'intention de notre site et qui nous l'a fait parvenir le 27 octobre 2016 avec la lettre suivante :
" Cher Ami,
Je vous adresse comme prévu hier au téléphone le récit des circonstances de mon arrestation par le Colonel Zwilling chef de corps du 7° régiment de la Garde au Palais d'Hiver le matin du 8 novembre 1942. Ce récit est destiné à être publié dans Judaica Algeria à la suite du long récit : "La Garde sous Vichy :Le Tournant".
Merci d'avance.
Avec toutes mes amitiés
Paul Molkhou "
J ‘ai reçu de mon ami Lucien Gozlan le récit de l’action de la Garde Mobile le 8 novembre 1942 à l’occasion du débarquement anglo américain à Alger, récit actuellement disponible sur le site de Judaica Algeria. La lecture de cet extraordinaire événement a réveillé en moi,à l’aube du soixante quatorzième anniversaire de la Torch Operation , les détails de ma participation à cette opération.
Après mon éviction de la Faculté en octobre 1941 ,liée aux lois de Vichy concernant les juifs d’Algérie avec l’abolition du décret Crémieux leur retirant la citoyenneté française, je décidais sur proposition d’un ami étudiant en architecture Ouayoun de gagner Gibraltar pour rejoindre les Forces Françaises Libres du Général de Gaulle..Malheureusement ce projet fut abandonné après l’arrestation d’un premier groupe et sa déportation dans le sud algérien. C’est précisément à cette période que je rejoignais le Centre Maupas sorte de faculté parallèle qui regroupait tous les professeurs juifs évincés des facultés et lycées pour poursuivre une formation scientifique. L’atmosphère à Alger était assez pesante avec 12 000 soldats de Vichy à Alger, plus la police et 2 000 fascistes du SOL- premier nom de la Milice, plus une administration farouchement anti gaulliste et antisémite. La situation mondiale était inquiétante par l’avancée foudroyante des armées nazis en Russie et le recul des armées britanniques,notre seul espoir. C’est au cours de ce même mois d’octobre que j’assistais chaque dimanche à l’office de l’Eglise Anglicane pour chanter le « God Save the King » et dans le but de rencontrer le pasteur et une famille anglaise pour parfaire la langue de Shakespeare.C’est ainsi que je rencontrais pour la première fois Mrs Tuyl et sa mère Mrs Fry peintre. J’allais deux fois par semaine traduire des textes anglais et parler de différends sujets, Mrs Tuyl étant bilingue ayant fait ses études au Lycée de jeunes filles à Alger. C’est au cours de ces rencontres que j’appris que son mari était prisonnier des allemands.Au bout de quelques semaines je m’aperçus d ‘une activité inhabituelle qui me fit penser qu’elle avait un poste émetteur clandestin. Cette découverte qui l’avait fragilisée fut par la suite le début d’une coopération lorsqu’elle apprit que j’appartenais moi même à un réseau de résistance sans en donner les origines.Le récit de ma rencontre avec Mrs Tuyl est publié sur le » site Judaica Algeria ».
Le 7 décembre 1941 Pearl Harbour avec l’entrée des américains dans la guerre nous redonne espoir.Au cours de l’année 1942 je continuais régulièrement mes séances chez Mrs Tuyl, et eu ainsi l’occasion de rencontrer pour la première fois le colonel John Knox, un agent OSS attaché militaire auprès du Consul Général des Etats Unis Robert Murphy que Mrs Tuyl épousa en 1943 après la mort tragique de son mari assassiné par les allemands. Pendant ce début de l’année 1942 j’ignorais tout des mouvements diplomatiques et militaires qui existaient entre quelques résistants français et des personnalités américaines, alors que Mrs Tuyl travaillait activement avec les membres du Consulat Américain en vue d’un débarquement en Afrique du Nord. Ce n’est que fin octobre que je fus de nouveau contacté par ce même camarade architecte qui m’annonçait une action prochaine et me demandait de me tenir prêt. Pour ma part, les trois jours précédents le 8 novembre, j’avais été de nouveau contacté pour répondre à une action imminente..Depuis
quelques jours les nouvelles qui nous parvenaient de Tripolitaine nous remplissaient d’espoir et de confiance devant le succès à El Alamein où l’armée britannique avait remporté une éclatante victoire sur Rommel le 4 novembre.
Le samedi 7 novembre je ne quittais pas mon domicile sauf pour accomplir quelques missions tests dans Alger .Je fus contacté en fin d’après midi pour me rendre au domicile du Dr Morali Daninos qui avait la charge du Secteur Place du Gouvernement, Amirauté, Bab-El-Oued Je me retrouvais au milieu d’une trentaine de personnes que je n’avais jamais rencontrées. Le Dr Morali Daninos nous fit un exposé de la situation et nous indiqua notre rôle à jouer au cours du débarquement anglo américain « neutraliser les poins sensibles de la ville par la persuasion et la négociation ».
. C’est précisément, en bas de son domicile vers 23 heures, que nous ont été distribuées des armes, des vieux fusils Lebel de la dernière guerre avec des balles car les armes promises ne nous étaient jamais parvenues, ainsi que des brassards des “Volontaires de place” que nous avait fourni le colonel Jousse -ironie du sort- destinés aux fascistes SOL pour maintenir l’ordre en cas de débarquement. Grâce à des ordres de mission signés par le Général Mast et José Aboulker, tous les postes de garde de tous les points stratégiques avaient été remplacés.
C’est ainsi qu’avec le Docteur Morali-Daninos en tête, en uniforme de Médecin Lieutenant, nous nous sommes dirigés, moins d’une trentaine, dans un premier temps, vers un commissariat situé rue Bruce prés du Palais d’Hiver que nous avons neutralisé avant de nous rendre maîtres du Palais d’Hiver lui même (Commandement des Forces d’Afrique du Nord : Général Juin). Notre section était commandée par le lieutenant Sirot.
Vers minuit, tous les commissariats sont occupés, ainsi que le QG de l’armée, la Grande Poste , la Radio.Toutes les lignes téléphoniques d’Alger ont sauté, sauf le fil direct du Commissariat Central Boulevard Baudin. Seule l’Amirauté n’a pu être réduite par manque d’effectifs, ce qui va nous causer de grosses difficultés par la suite. En effet, tout semblait bien aller, alors que la ville d’Alger dormait, occupée par moins de 400 jeunes gens et que les Américains étaient en train de débarquer à Sidi Ferruch, là même où les Français avaient débarqué en 1830. L’occupation du Palais d’Hiver fut délicate. Nous occupions l’extérieur du bâtiment et seuls le Docteur Morali Daninos et le lieutenant Sirot avaient pu pénétrer pour parlementer avec des officiers et sous officiers de garde. Pendant plusieurs heures mes camarades et moi étions postés les uns devant l’entrée du Palais d’Hiver, les autres dans les postes de garde parlementant avec les soldats présents qui manifestaient leur fidélité au Maréchal. C’est vers 3 heures du matin, au moment où des détonations retentirent que le Docteur Morali- Daninos vient nous inspecter, que je lui fais part de mon étonnement de ne pas apercevoir les troupes alliées venir nous relever comme le plan l’avait prévu la veille au soir.Le Docteur Morali Daninos qui n’avait aucune nouvelle du débarquement est reparti ensuite vers l’Amirauté.
Peu de temps après, un peu avant la levée du jour, vers 6 heures, en faction devant le Palais d’Hiver, j’ai aperçu dans la brume du matin, une Compagnie de Gardes Mobiles qui venait de prendre position autour du Palais d’Hiver, prête à tirer sur nous.Un colonel dont je viens d’apprendre seulement le nom Zwilling, me menace revolver au poing.J’étais sur le point de l’ assommer avec la crosse de mon fusil lorsque le lieutenant Sirot nous a donné l’ordre de nous rendre pour éviter un massacre.Je me revoie les bras en l’air désarmé par les gardes du colonel Zwilling en état d’arrestation et susceptible d’être jugé comme gaulliste et terroriste.C’est peu de temps après que Monsieur Ettori Secrétaire du Gouvernement Général de l’Algérie me confirmait mon arrestation comme dissident et susceptible d’être fusillé.
Mes camarades et moi avons été arrêtés et interrogés jusqu’au milieu de l’après-midi, puis transférés dans des camions bâchés à la Prison de Barberousse où nous sommes restés cinq jours.
La prison de Barberousse
Nous avons été libérés au bout de 5 jours, le 13 novembre, la veille de mes vingt ans , grâce à un message que j’avais pu faire parvenir au Colonel John Knox, par l’intermédiaire d’un camarade emprisonné avec moi, Jean Ciosi. Son père, professeur de mathématiques avait réussi à lui rendre visite.
J’ai lu avec beaucoup d’attention le récit complet de l’action de la Garde Mobile qui ne fait que confirmer l’état de confusion et le désarroi dans laquelle s’est trouvée l’Algérie française de l’époque.